Cela faisait maintenant deux semaines que la jeune Alice était arrivée à la capitale. Après plusieurs jours de marche fatigants, elle était parvenue à rejoindre Phidalys sans trop de problème, amassant même 500 Pyutas volés en chemin.

Ce soir, la jeune femme avait envie de gagner encore plus. Utiliser ses capacités de prestidigitation dans un gros coup, lui permettant de récolter une belle somme en plus de s’améliorer dans sa magie était une offre bien alléchante... Peut-être même un peu trop. Mais qu’importe ? Quelques jours auparavant, elle avait impunément assisté au dépouillement de trois bourgeois dans leur diligence. Un bringuant avait réussi à attraper un objet plutôt coûteux : un énorme joyau rouge. L’appât du gain l’avait poussée à suivre les voleur : ils étaient cinq, tous d’âge et d’expérience différentes. Préparée à les voler en toute discrétion pour éviter le moindre bain de sang, Alice avait pris l’initiative de prendre le plus jeune d’entre eux en filature. Maladroit, il devrait réussir à la menait jusqu’à son précieux trésor...

Emmitouflée dans sa veste bordeaux, elle s’engouffra dans une ruelle sombre dont elle n’avait jamais connue l’existence auparavant. Elle n’aimait pas pénétrait dans ces coins mal famés, mais ce soir elle n’avait pas le choix.

Des cries se firent entendre : un peu plus enfoncés dans la ruelle, le jeune briguant et une autre silhouette semblaient se battre. A pas de loup, elle s’approcha lentement. L’étranger était légèrement plus petit que l’autre et avait son pied sur le torse de ce dernier qui, à terre, pleurnichait pour avoir la vie sauve.

« Quel crétin, il va tuer ma seule chance de retrouver le joyau ! »

Un pas de plus. Alice pouvait presque entendre la conversation :

« C'est toi qui es fou de me résister ! Je vais t'aider ! Il y a trois jours, tes copains et toi avez attaqué une diligence dans laquelle se trouvaient trois bourgeois, l'un d'eux a été dépouillé d'un énorme joyau rouge. Tu te souviens maintenant ? »

La jeune femme ne bougea plus. Il est vrai que le jour de l’agression, un autre jeune homme avait assisté à la scène avec elle... Était-il maintenant lui aussi à la recherche du même trésor ?
Son voleur balança alors une adresse : Le Dragon de Jade. Ses amis devaient y être.

Alice plissa les yeux pour mieux observer la scène, mais la noirceur de la nuit l’empêchait de voir les visages. Elle n’avait aucune crainte pour l’homme qui chercher lui aussi le joyau : juste un peu violent, il ne doit pas être bien dangereux...

Elle assista à toute la scène qui suivit : son voleur essaya de tuer l’inconnu qui riposta en envoyant des éclats de sol dans sa poitrine. Il partit ensuite, dans un juron destiné au cadavre, vers l’adresse donnée.

Alice soupira. « Quel abruti de manieur d’Ärms ! Pas si inoffensif que ça... »

Elle se leva alors et s’approcha doucement de l’homme à terre. Il avait un visage fin qui saignait et ses vêtements étaient déchirés par les éclats qu’il avait reçus. Elle fouilla ses poches : une bourse de 30 Pyutas et un bout de papier y logeaient. La jeune femme prit la bourse et observa le manuscrit. Un nom et un dessin : LYGAT DÉLIOS, puis le visage jeune d’un homme à l’œil droit bandé ; exactement celui de l’homme qui vient de partir pour le « Dragon de Jade » !

Alice esquissa un léger sourire avant d’entreprendre le chemin vers la taverne.

« Eh bien, mon cher Lygat... Il se pourrait que tu recherches la même chose que moi ! »

Quelques minutes plus tard, elle se trouvait perchée sur le toit de la maison mitoyenne au bar. Elle observa la rue déserte à la recherche du manieur d’Ärms. Il était juste à l’entrée.

« Aller Alice, rappelle-toi de ta règle d’or... "Ne jamais tuer pour de l’argent." Ignore-le, de toute façon tu seras plus rapide que lui.»

Elle descendit alors de son perchoir et attendit que ce « Lygat » entre pour faire de même...

« ...Je le surveille quand même. »

Elle le suivit alors dans tout le bar et observa le moindre de ses mouvements : il est clair qu’il recherchait quelque chose.

C’est en entend le silence de mort qui suivi l’entrée du jeune homme qu’Alice comprit que son précieux joyau sera plus difficile à dénicher qu’elle ne le pensait.

Elle était blottit dans l’ombre d’un coin de la salle et observait la scène : une bagarre allait éclatait. L’idée de profiter de la cohue générale pour dérober le trésor lui vint à l’esprit. Mais sa promesse d’éviter les bains de sang lui revint en mémoire : si cet homme mourrait ici sans qu’elle ait essayé quoi que ce soit pour le défendre, elle s’en voudrait pendant un long moment. Mais comment agir ?

Alice tata dans sa poche à la recherche d’un quelconque objet pouvant lui servir d’arme, mais se ravisa bien vite. « Pas de sang. » Elle allait devoir faire avec sa magie...

Elle programma alors les minutes à suivre :
Première étape : Repérer un potentiel endroit où logerait le joyau et s’y rendre.
Deuxième étape : Dérober le joyau (de préférence sans se faire prendre, mais la bagarre générale allait l’aider.)
Troisième étape : Sortir le manieur d’Ärms de cet... embarras.
Dernière étape : Partir.

Son plan paraissait plutôt bon, mais Alice savait que cela n’allait pas être aussi facile ; rien n’est jamais facile lorsqu’elle doit éviter des bains de sang. Surtout lorsqu’elle doit sauver un petit rigolo qui fonce dans le tas...

Elle sortit alors de l’ombre et longea aussi discrètement que possible les murs de la taverne. À gauche, une porte indiquait l’entrée de l’arrière-salle : le joyau était forcément ici, aucune autre porte n’existait. La jeune femme se retourna quelque fois par prudence pour vérifier que personne ne la suivait, mais aussi pour veiller à la sécurité de « son homme ».

« Il ne doit pas mourir. Il ne doit pas mourir. » Se répéta-t-elle souvent, sans pour autant oublier son objectif premier : trouver le joyau rouge.

Alice arriva devant la porte et abaissa la poignet qui resta bloquée : il fallait crocheter la serrure ; une difficulté supplémentaire. Mais la jeune femme n’est pas une mage pour rien ; elle la fit sauter en un claquement de doigt. Dernier coup d’œil en arrière, et elle entra la pièce...

C’est ici qu’elle commit sa première erreur : avec la vision du joyau qui brillait sur un coussin de soie bleu à l’autre bout de la pièce et l’excitation du danger imminent, elle oublia de refermer la porte derrière elle, indiquant ainsi sa position et même son existence.

Et ça n’a pas raté : dans la salle de la bagarre, elle entendit un énorme juron et des pas s’avancer vers la pièce où elle se trouvait.

« Bordel ! L’arrière-salle est ouverte ! Un allié ! Il a un allié ! »

C’est le bruit d’un rat en mouvement qui réveilla Alice. Elle ouvrit lentement les yeux, attendant d’être éblouie par la lumière du soleil... Mais rien. La pièce était sombre, moite, et la jeune fille avait froid. « Bang. » Encore ce fichu rat... La cave où elle était avait des airs morbides avec des gouttes d’eau qui tombaient dans une flaque en un bruit agassant et ces rongeurs.

Alice recouvrait doucement ses esprits. Sa tête lui faisait mal et elle se mit un grelotter en s’emmitouflant un peu plus dans ses vêtements. « Je dois sortir de là... » Elle observa autour d’elle ; ses yeux s’étaient bien habitués à l’obscurité pesante. Un mouvement brusque attira son attention au fond de la petite pièce ; elle recula par réflexe, ça ne pouvait pas être un rat... Puis elle se souvint : Le garçon ! Avait-il été enfermé au même endroit qu’elle ? Cela avait un côté rassurant : non seulement elle n’était plus seule dans son périple, mais cela pouvait lui confirmer que « son homme » n’était pas mort.

Elle se rapprocha doucement, sans trop faire de bruit. Peut-être l’avait-il déjà repéré, peut-être dormait-il encore... Elle voulait en avoir le cœur net.

« Eh ? », chuchota-t-elle. Pas de réponse. L’avait-elle dit trop bas ?

« Mon dieu faites qu’il ne soit pas mort ! »

Elle se rapprocha un peu plus, peut-être un peu trop. Elle ouvra la bouche pour répéter, mais...

Au même moment, un rat lui mordit le mollet, et ce fut un cri strident qui lui échappa de la gorge.

« On peut savoir qui t’es minette ? Et aussi pourquoi tu hurles ? »

La jambe d’Alice lui faisait encore mal. Elle leva les yeux vers l’ombre qui se trouvait en face d’elle, derrière les barreaux.

Le manieur d’Ärms !

Comment avait-il pu sortir de sa prison et détaler jusqu’ici aussi rapidement ?

Elle le détailla de haut en bas. Le bonhomme était assez petit et avait des cheveux blancs ébouriffés dans tous les sens. Son bandeau était relevé par-dessus, laissant apparaître... un oeil qui brillait d’une façon bien étrange. Elle eut un mouvement de recul, presque de peur.
On aurait dit que cet œil était... vivant.

« Lygat Délios... » Murmura-t-elle.

Aucun doute, maintenant qu’elle pouvait le voir de près : l’homme qu’elle avait devant elle était bel et bien celui dessiné par le brigand mort quelques temps plus tôt.

Elle le regarda dans son œil « normal » et lui répondit :

« Je cherche la même chose que toi, mon grand. J’étais bien à deux doigts de l’avoir avant que l’on se fasse coincer ici... »[i]

La douleur de sa jambe lui arracha une grimace. Juste à côté, le rat qui l’avait précédemment mordu la regardait avec des yeux rieurs.

[i]« C’est ça, fiche-toi de moi ! Je vais te montrer ce que ça fait, sale bestiole... »

Sur ces mots, Alice utilisa sa magie dans des murmures inaudibles et le rat s’embrasa sur le champ. La jeune femme le regarda avec un air de fierté et retourna bien vite au sujet de sa discussion...

«La même chose que moi ? Le caillou ? Alors tu es mon adversaire, je ne vois pas pourquoi je te libérerai... »

Alice voulu lui répondre, mais une quinte de toux prit l'homme au même moment. Il sembla défaillir et dû s'accrocher aux barreaux pour ne pas tomber...

« C'est le pompom ! S'il meurt sans même s'être battu... »

La jeune femme usa alors de sa magie pour écarter les barreaux de sa cellule et se précipita de l'autre côté pour soutenir le mercenaire.

« Merci pour la proposition, mais je n'ai pas vraiment besoin de ton aide pour sortir de là. Toi par contre... t'es dans un sale état. Besoin de soutien mon p'tit ?»

Ce fut une course poursuite qui avait mis la jambe d'Alice à rude épreuve. Essoufflée comme jamais, pliée en deux et les mains posées sur ses genoux, elle reprenait son souffle à deux doigts de suffoquer ; depuis quand n'avait-elle pas couru ainsi ?

Lorsqu'elle arriva à se calmer, elle vint aux côtés de Lygat. Elle qui s'était promis d'éviter les bains de sang... voilà qui était raté ! Heureusement, « son homme » était vivant ; n'était-ce pas là le principal ?

Lentement, elle articula :

« Bien joué. Et merci, quand même. Maintenant, je crois qu'on a quelques petites choses à régler... »