« Le Chapelier Fou ». C'était une auberge tranquille, pas très grande, pas de très bonne qualité, mais bien éclairée et où la soupe servie n'était pas trop mauvaise. C'était une auberge à la capitale. La devanture montrait un chapeau couleur de cuir, avec des lunettes. Pas très original. Girofle attendait donc devant la porte, habillée un peu mieux que d'habitude d'une robe couleur d'émeraude, avec un tissu léger. Elle l'avait acheté il y avait quelques jours, pour de grandes occasions. Et celle-là en était une. Elle allait revoir Ikfes !

Il y avait deux jours, elle avait reçu un mot disant : « Après-demain soir. Coucher du soleil. Phidalys ; un loup rôde parmi les hommes chez un Chapelier fou. » Elle n'avait tout d'abord pas compris, puis avait semblé comprendre le message : Ikfes était le loup, et le chapelier fou l'endroit. Restait à y aller ; elle avait dépensé la moitié de sa paye en transport pour y aller. Elle s'était changée dans une taverne, et s'était même coiffée. Ses cheveux rouges était relevés par une pince orné d'un coquillage rose, qui contrastait avec ses mèches de flamme. Elle se regarda dans une vitre sombre, et se dit qu'elle était plutôt pas mal. Néanmoins, le gilet qu'elle portait, couleur de feuille, n'était pas très chaud, et la nuit tombante rafraîchissait l'air de cette belle journée.

Son coeur tambourinait dans sa poitrine ; certains hommes, en pénétrant dans l'auberge, l'avaient regardé avec insistance. Elle avait un peu peur, et se demandait quand allait arriver Ikfes. Et si elle s'était trompée ? Et si ce n'était pas Ikfes ? Ou alors si c'était un piège ? Un frisson la parcourut, et pas seulement dû au froid. Une silhouette s'approcha, et durant un instant, elle s'attendit à voir son homme-loup préféré, mais c'en était un autre, un grand barbu, portant cape et chapeau. Un sourire étira ses lèvres, et il se courba devant Girofle, en lui volant sa main pour y déposer ses lèvres froides.

« Que fais une si belle jeune femme ici ? » demanda t-il en lui jetant un regard curieux.

Girofle retira vivement sa main de la sienne et recula d'un pas, resserrant son gilet sur elle dans un geste défensif. Elle baissa les yeux, ses longs cils dessinant des arabesques d'ombres sur ses joues rougies par le froid et l'embarras.

« J'attends un ami » murmura t-elle, en secouant la tête, espérant le faire s'en aller. Mais il se rapprocha, au contraire, jusqu'à frôler de sa main sa joue. Elle eut un petit gémissement de peur et de surprise ; le contact d'autrui lui était un effroi, et elle se recula plus vivement, avec le regard d'un biche effarouchée.

« Il est en retard, il ne vous mérite pas. Venez boire un verre avec moi » insista t-il en lui prenant le poignet.
« Lâchez moi ! Laissez moi tranquille » fit-elle d'une voix sourde.

Elle n'était pas d'une nature colérique, mais si il insistait, elle ne se laisserait pas faire.

Enfin, il allait la revoir. En ce beau et frais début de soirée à Phidalys, Ikfes avait convié celle qu'il aimait -sur le conseil de Kveria- à le rejoindre devant une auberge. Et plus particulièrement, devant l'auberge où il logeait avec son amie. Pourquoi lui avait-elle donné l'idée de faire ça me direz-vous. Et bien, tout simplement parce qu'elle voyait bien que son ami ne pensait qu'à Girofle, bien qu'il n'en parle pas tellement. Lorsqu'elle lui en avait parlé, elle avait eu l'impression qu'il était heureux qu'elle lui en parle, même s'il hésitait... Mais il avait bien rapidement choisi en la faveur du rendez-vous bien entendu. Mais pourquoi avait-il hésité ? Et bien, il craignait que le maître de Girofle refuse de la laisser s'absenter une soirée. Et puis, finalement, il s'était dit qu'il n'y avait rien à perdre. Et c'était bien vrai, non ?

Cela n'avait pas été tâche facile que de la retrouver... Il était retourné là où il l'avait rencontré et avait questionné plusieurs personnes pour finalement découvrir qu'elle, son maître et la nouvelle servante étaient partis pour Phidalys. Bon, la capitale était proche. Et heureusement, l'un des valets resté au manoir avait l'adresse d'où ils étaient descendus, plus précisément dans la "petite" maison que possédait le noble là-bas dans un des quartiers hautement embourgeoisés, nobles quoi. Ikfes et Kveria s'étaient donc remis en route pour Phidalys, et, y étant arrivés, s'étaient rendu à une auberge qu'on leur avait conseillé, le "Chapelier Fou". Sans tardé, Ikfes était allé jusqu'où résidait Girofle et son maître et lui avait fait passer un message. Un message bien étrange, mais au moins, si le noble tombait dessus, il y avait peu de chance qu'il comprenne. Notre jeune homme espérait juste que Girofle comprendrait. Mais pourquoi cela n'aurait pas été le cas ?

Revenons à présent dans cette belle soirée. Ikfes et Kveria étaient sortis de l'auberge en fin d'après-midi pour aller faire un tour. Le jeune adulte avait besoin de bouger. Il ne supportait pas de rester enfermé trop longtemps. Le sang de campagnard sans doute. Il avait laissé sa tenue d'épéiste à l'auberge, faisant confiance à la robuste porte de la chambre, et à la grosse serrure qui la fermait. Il avait cependant pris son épée avec lui. On ne sait jamais ce qui peut se passer. Sinon, il était habillé comme d'habitude. Il faut dire qu'il avait essentiellement les mêmes vêtements à se mettre, et n'en avait pas une multitude... Essayer de se coiffer, ce n'était même pas la peine. Ses cheveux reprenaient toujours leur place, alors...
Enfin, Ikfes et son amie reprirent le chemin de l'auberge. Arrivé à proximité, le jeune bretteur sentit son cœur battre la chamade. Et si elle n'avait pas pu venir ? Si son maître l'en avait empêcher ? Si elle n'avait pas compris le message. Non non non, ce n'était pas le moment d'avoir des pensées négatives, il allait la revoir. Arrivé en face du bâtiment, il la vit. Elle était habillée d'une robe couleur émeraude qui lui allait à ravir et avait coiffé ses cheveux... Mais de là où il était, il ne pouvait en dire plus. Si ce n'est qu'elle avait été accostée par un autre homme, et qu'elle n'avait pas l'air d'apprécier cela. Une colère sourde monta brusquement. Non, ne pas s'énerver. Il aurait des ennuis sinon... En se rapprochant, il entendit une bride de conversation.

« Il est en retard, il ne vous mérite pas. Venez boire un verre avec moi.
- Lâchez moi ! Laissez moi tranquille »

Il s'approcha lentement, talonné par Kveria, jusqu'à se glisser juste derrière l'homme et lança d'un ton calme.

« Il est vrai que je ne la mérite peut-être pas, mais vous encore moins. Je vous suggère de la laisser tranquille, où vous pourriez avoir quelques ennuis. »

Après avoir fini sa phrase, il l'obligea à la lâcher en serrant sa poigne autour de son bras, puis se tourna en souriant vers Girofle.

« Tu es ravissante. »

• Girofle fronçait les sourcils ; l'homme ne la lâchait pas. Il lui souriait, de cet air si orgueilleux. Son visage disait : Suis-moi. Tu en as envie, je le sais. Tu ne sais pas, mais moi je le sais. C'était une situation horrible ; la jeune servante commençait à se dire qu'elle allait devoir user de ses Ärms. Sa bague était prête, la gueule du serpent ouverte, pouvant cracher du feu à tout moment. Elle contrôlerait ce feu. Elle commençait déjà à se décoller de la situation, pour se sauver, quand une silhouette derrière l'homme prononça ces paroles :
  
  « Il est vrai que je ne la mérite peut-être pas, mais vous encore moins. Je vous suggère de la laisser tranquille, où vous pourriez avoir quelques ennuis. »
  
  Malgré qu'elle ne le vît pas, elle reconnu sa voix. Ikfes ! Son coeur bondit dans sa poitrine, et toute pensée de bataille s'égara dans le lointain. Il était là, et il prenait sa défense ! Il obligea l'homme à la lâcher, et elle se massa le poignet, douloureux à l'endroit où il l'avait tenu avec force.
  
  « Tu es ravissante. »
  
  Elle rougit sous le compliment. Elle se tourna vers l'inconnu, qui grimaçait de mécontentement. Apparemment, perdre sa proie de la soirée ne lui plaisait pas. Girofle se planta devant lui, sans prendre un air amusé. Elle avait perdu sa colère, et malgré qu'elle soit rancunière, elle ne le connaissait pas et n'avait nulle idée de vengeance en tête.
  
  « Mon ami est là. Si j'étais vous, je partirais, maintenant. » fit-elle d'un ton doux, sans aucune menace dans la voix. Tout était dans son regard ; franc et sûr d'elle. Elle n'aurait jamais regardé ainsi quelqu'un dans les yeux si elle n'avait pas eu la présence d'Ikfes à côté d'elle. Il lui donnait des ailes. L'inconnu s'en alla en ronchonnant, passant près d'une jeune femme qui observait la scène. Girofle haussa les sourcils, puis trop impatiente, se tourna vers Ikfes. Devait-elle lui sauter dans les bras ? Elle s'approcha de lui, et se serra contre sa poitrine. Son odeur était la même, celle d'un homme et d'un loup, à la fois sauvage et douce. Elle aurait pleuré de joie de le savoir là.
  
  « C'est bien toi ! J'ai don compris le message. J'ai eu si peur que ce ne soit pas toi. Je suis si contente de te revoir. J'ai pensé à toi tous les jours depuis la dernière fois » murmura t-elle en levant son visage vers lui. Ses yeux brillaient de joie. Il était là ! En chair et en os, et non plus en brumes de rêves ou en nimbes de pensées.

Le sourire d'Ikfes s'élargit lorsqu'il vit le visage de son aimée prendre une teinte rosée suite à son compliment. Il se tourna ensuite vers l'homme encore planté juste à côté d'eux, son visage s'assombrissnt un peu. Il n'espérait pas rester tout de même ? Son comportement n'était déjà pas acceptable, alors s'il s'enfonçait dans sa bêtise... Enfin, Girofle sut le faire s'en aller sans qu'il ne sache ajouter quelque chose. Bon, une bonne chose de faite. Tant qu'il n'allait pas en embêter une autre... Lorsqu'il passa à côté d'elle, Kveria ne lui accorda même pas un regard, se contentant d'observer l'autre jeune femme. Elle ne pouvait pas encore vraiment comprendre pourquoi Ikfes était tombé sous son charme mais elle était belle, c'était indéniable. Et elle l'avait vu. Enfin, elle le pensait. Elle l'avait fixé quelques instants, mais c'était vite retournée vers le jeune homme.

Lorsque Girofle se sera contre lui, Ikfes passa ses bras autour d'elle, l'enlaçant tendrement. Qu'est-ce qu'il y avait pensé à ce moment, où ils se retrouveraient enfin. Et c'était arrivé plus vite qu'il ne le pensait... En même temps, il l'avait fait pour. Il avait fermé les yeux quelques instants, mais les rouvrit lorsqu'elle reprit la parole. Content de la revoir, il l'était aussi bien sûr. Ses yeux exprimaient la joie qu'elle avait, mais ceux du jeune homme étaient loin d'être si démonstratif. Il lui répondit d'une voix douce un nouveau sourire sur son visage.

Moi de même, je n'ai cessé de penser à toi chaque jour... Et Kveria peut en témoigner. J'ai dû lui parler de toi presque chaque jour.

Il regarda en direction de son amie. Lorsque celle-ci attendit son nom, elle releva un peu la tête, c'était perdue dans ses pensées. Elle fit un faible sourire et s'avança un peu.

Je vais vous laisser tranquille pour la soirée. Je vais aller... faire un tour.

Ikfes hésita un peu puis lança un "D'accord, mais fais attention à toi." alors qu'elle s'éloignait déjà. Elle se retourna et lui fit un sourire, signifiant que oui, elle ferait attention -et puis, elle savait se défendre- puis repartit dans une ruelle, se doutant bien qu'elle ne ferait que gêner si elle restait avec eux. Encore une soirée dans sa solitude, comme avant...
Le jeune la regarda disparaitre au coin de la rue puis reposa son regard sur Girofle. Il resserra son étreinte autour d'elle (pour lui tenir chaud bien entendu) et rapprocha son visage du sien.

... Ça te dirait une promenade ? dit-il en disant sa phrase sur un ton bas, en souriant..

Girofle s'était blotti contre le torse de Ikfes. Sentir son odeur sauvage, sa chaleur, après tant de solitude ! Elle se sentait juste heureuse. Peut-être aurait-elle dû faire un peu plus attention à la jeune femme qui les observait à quelques pas de là, mais égoïste dans son petit bonheur enfin retrouvé, elle se laissa absorber par son imagination, et ne rêvait plus que de serrer son bien-aimé dans ses bras ainsi, voire même lui embrasser le cou. Ses cheveux roux flottaient dans son dos, et elle se sentait soudain coquette d'avoir mis une jolie robe.Mais peu importait, si Ikfes la trouvait jolie ! Ils se séparèrent enfin, et les paroles du jeune homme atteignirent enfin son cerveau ; les yeux turquoise de Girofle se posèrent sur la jeune femme : Kveria. La situation semblait embarrassante. Car Girofle sentait bien ce que la demoiselle devait ressentir : un rejet, peut-être même de la douleur, face à son ami avec qui elle avait apparemment une longue amitié et qui la délaissait pour elle. Girofle se sentit de trop, honteuse et à la fois jalouse. Un soulagement malvenu la prit quand la demoiselle s'éloigna après avoir trouvé une excuse. Elle n'aurait pas dû ressentir un tel soulagement ! Elle aurait dû la convier à se joindre à eux. Elle était malheureuse, soudainement, par empathie pour Kveria. Un voile se dressa devant ses yeux et elle les baissa, pour éviter que Ikfes ne voit sa tristesse lancinante.

Ikfes se serra contre elle, et l'invitation qu'il lui donna lui mit du baume au coeur sans réussir à chasser la noirceur de son humeur. Elle fit un sourire mi-figue mi-raisin ; saurait-elle cacher ses sombres sentiments ? Elle n'aurait jamais imaginé que revoir Ikfes serait à la fois le jour le plus heureux de sa vie mais aussi celui où la vie d'une autre jeune femme se briserait, se fendillerait.

« Oui, allons nous promener » fit-elle tout bas en espérant qu'il excuserait sa voix rauque avec sa timidité.

Elle lui prit la main et se mit à marcher tout doucement ; hélas, bien qu'en faisant des efforts, elle ne parvenait pas à chasser Kveria de sa tête. A peine quelques minutes plus tard, elle s'arrêta tout net dans la rue, au milieu des gens qui passaient et des lumières pâles qui venaient des bâtiments et se tourna vers Ikfes, son regard à la fois dur et miroir de son âme tourmentée.

« Cette jeune femme, Kveria ... Tu la connais depuis longtemps ? Elle avait l'air triste de rester seule, cela ne te fais rien ? Je ne m'étais pas imaginé que tu parcourais le monde avec quelqu'un, peut-être ne suis-je qu'une gêne au final. Peut-être devrais-tu aller la rejoindre pour la consoler. Elle a dû se sentir rejetée ; quoi de plus normal ? Je ne suis que la briseuse de couple ici. Je me sens si mal pour elle » gémit-elle en mettant ses mains sur son visage.

Pour un peu, elle en aurait presque pleuré ; elle n'imaginait pas qu'Ikfes puisse être en couple avec Kveria, mais elle imaginait sans peine les sentiments que pouvait nourrir la jeune femme à l'égard de son jeune ami. Peut-être était-elle amoureuse de lui ? Et Girofle, arrivant sur ses grands chevaux, aurait tout gâché ... Une larme perla à ses yeux d'azur et roula sur sa joue sans un mot ; son coeur battait la chamade mais pas pour les bonnes raisons. Pourquoi n'arrivait-elle pas à se réjouir, au lieu de se morfondre ? Parce qu'elle ne pouvait délaisser la peine de quelqu'un. Trop de temps sa propre tristesse avait été ignorée ; elle savait le mal que cela faisait.

Avant de lui proposer la promenade, Ikfes n'avait pas vraiment vu l'état dans lequel était passée Girofle. Il était trop content d'être avec elle en cet instant. Pourtant, il aurait pu se demander pourquoi elle avait baissé les yeux après que Kveria se soit éloignée. Mais il ne l'avait pas vu, encore occupé à regarder dans la direction où son amie de toujours était partie. Lorsqu'il reposa les yeux sur Girofle, il perdit légèrement son sourire, de demandant pourquoi sa voix était brusquement enrouée... Peut-être aurait-elle dû toussoter et elle aurait parler plus clairement...

Il commença à marcher à l'allure de la jeune femme et à ses côtés, même s'il devait avoué qu'il avait du mal à rester à une allure aussi basse. Il perdit son sourire après quelques instants. Même s'il savourait chaque instant passer auprès de celle qu'il aimait, il cherchait quelque chose à dire... Et il se demandait à quoi elle pensait. Elle semblait perdue dans ses pensées, d'après tous les coups d'oeil qu'il lui avait donné.
Après quelques minutes de promenade, elle s'arrêta brusquement au milieu de la rue et tourna vers lui des yeux durs, où du moins ne vit-il que ça. Affichant un air surpris, il se demanda ce qu'il avait bien pu faire pour mériter un tel regard. Elle entama alors un monologue qu'il ne put arrêter et sa surprise s'aggrandit au fur et à mesure qu'elle parlait. Un court silence s'installa pendant lequel il ne put rien dire. Puis il enleva doucement les mains de Girofle de devant son visage et effaça la larme avec son pouce, pour répondre doucement.

Je connais Kveria depuis aussi longtemps que j'ai des souvenirs... Elle a toujours été près de moi, et elle est comme une grande sœur pour moi. ... C'est elle qui a eu l'idée que l'on se revoie maintenant, je fois t'avouer que je t'aurais seulement attendu sinon. Et elle sait que je ne pourrais jamais l'abandonner.

Il marqua une courte pause et reprit sa main, puis reprenant la parole.

Mais si tu veux t'en assurer, nous pouvons rentrer à l'auberge. Tel que je connais Kveria, elle doit déjà y être retournée, ou du moins le sera-t-elle lorsque nous y seront.

Il ne dit plus rien, la regardant d'un œil interrogateur en attendant sa réponse.

Les paroles d'Ikfes la rassuraient un peu, mais pas totalement. Son instinct féminin, ou du moins sa jalousie, lui dictaient de ne pas laisser Ikfes avec cette jeune femme ; qu'elle était sûrement amoureuse de lui. Mais son caractère doux et généreux l'emporta, et elle hocha la tête à la proposition d'Ikfes.

« Allons passer le début de soirée avec elle ; nous pourrons faire connaissance comme cela. Et après, si j'ai vraiment la conviction qu'elle ne s'ennuiera pas sans nous, nous pourrons sortir nous promener juste à deux. »

Elle avait lancé un regard timide mais farouche à l'homme-loup. Il lui avait tellement manqué ! Elle se souvenait chaque jour de leur moment sur la berge. Elle se demandait ce qu'aurait été sa vie sans cette motivation à se lever chaque jour. Son maître était un homme dur, et elle songeait de plus en plus à se libérer de ses chaînes pour suivre son amoureux. Elle lui sourit doucement et serra un instant contre lui, profitant de leur arrêt pour renouveler leur contact. La joue appuyée contre son torse, elle appréciait sa haute taille, sa carrure de guerrier. Elle savait qu'il la protégerait, et elle aimait cette sensation de sûreté qu'elle éprouvait à ses côtés.

Ils se mirent en marche, et en quelques minutes, revinrent à l'auberge. Pénétrant dans le bâtiment, l'air chaud et moite, empestant l'alcool et la fumée, leur frappa le visage. Girofle toussa, puis indiqua d'un geste la jeune femme qui s'était assise dos à la porte. On ne voyait pas son visage ; était-elle triste ? Girofle se demanda si cette idée était bonne, finalement ; peut-être voulait-elle un peu de solitude pour pouvoir se faire draguer ? Trêve de questions ; Girofle s'avança jusqu'à elle puis se planta à côté de sa table.

« Pouvons-nous nous asseoir avec toi ? Finalement, je pense qu'il serait plus agréable que l'on fasse connaissance toutes les deux. Tu pourras me raconter plein de choses sur Ikfès, comme cela » fit Girofle avec un petit sourire taquin en direction de l'homme-loup.

Ils se mirent donc en marche vers l'auberge. Ikfes ne se faisait pas vraiment de soucis pour Kveria. Peut-être le trouveriez-vous alors un mauvais ami, mais pour lui, elle allait très bien. Aussi faisait-il demi-tour uniquement pour faire plaisir à celle qu'il aimait.
Pendant ce temps, le sujet des pensées des deux jeunes gens était bel et bien retournée à l'auberge. Au début, elle s'était dit qu'elle monterait directement dans la chambre pour lire un peu. Mais finalement, elle était restée au rez-de-chaussée et s'était installée à une table libre pour boire quelque chose. Elle avait finalement optée pour une quelconque liqueur. Elle ne faisait pas vraiment attention au regard qu'on pouvait bien lui jeter, trop occupée par ses pensées. Elle se demandait si tout se passait bien pour Ikfes.

Alors qu'elle allait se lever pour aller dans la chambre, elle vit Girofle venir se planter à côté d'elle et lui demandait s'ils pouvaient rester avec elle. Kveria se tourna un peu pour voir Ikfes s'arrêter près d'elle. Qu'est-ce qu'ils fichaient ici ? Elle hocha la tête en guise de réponse à la question de la jeune femme, puis ajouta quelques mots.

J'allais aller me coucher mais puisque tu y tiens...

Le jeune guerrier, quant à lui, tira alors une chaise pour Girofle et s'assit sur une autre, tourné vers son amie sans toutefois dire un mot. Il jeta un coup d'oeil à la boisson de celle-ci et se tourna vers sa bien-aimée.

Tu voudrais boire quelque chose ?

Depuis tout à l'heure, il ne souriait plus et ne faisait plus aucun geste sympathique envers Girofle, se contentant d'un air neutre.

Girofle se sentait exclue. Entre l'air peu affable de Kveria et le ton neutre de Ikfes, elle avait envie de pleurer. Avait-elle fait quelque chose de mal ? Elle soupira un instant ; elle sentait qu'elle allait devoir faire la conversation ! Quand Ikfes lui proposa à boire, sans sourire, elle fit la moue mais accepta.

« Je vais prendre un verre de vin, s'il te plaît. »

L'alcool la mettrait peut-être plus en phase avec l'humeur des gens ? Elle espérait trouver rapidement un sujet de conversation. Etait-ce elle ou Kveria avait l'air peu contente de les voir revenir ? A l'idée de les voir s'afficher devant eux ou parce qu'elle avait prévu autre chose ? Que de questions auxquelles Girofle n'aurait sûrement jamais aucune réponse. Elle lança un regard en coin à l'homme-loup, sans comprendre non plus sa neutralité, puis se décida mentalement.

« Alors dis moi, Kveria, raconte moi un peu votre voyage ? Tu connais Ikfes depuis longtemps ? La vie d'aventurier n'est pas trop dure pour une femme ? »

Ces questions visaient seulement à faire parler un peu la demoiselle, dans l'optique de faire ami-ami, mais Girofle espérait aussi qu'elle ne se sentirait pas insultée par ses propos. Il n'aurait plus manqué que cela ! Girofle se retenait aussi de saisir la main de Ikfes ; ses airs distants la mettait en garde de tenter quoi que ce soit. Elle se sentait perdue et un peu repoussée aussi, et elle n'aimait pas ça.

Ikfes se leva et se rendit au comptoir pour aller demander une bière et un verre de vin. Ça ne risquait pas d'être du grand cru en tout cas... Il jeta un coup d’œil à l'aubergiste. Et probablement coupé à l'eau. Toutes les auberges, tavernes et autres faisaient ça de toute façon. Il patienta quelques instants puis prit la choppe et le verre, lançant qu'il paierait après. Il revint à la table et déposa le verre devant Girofle en lui souriant. Il avait eu l'impression qu'elle allait pleurer avant qu'il ne se lève... Il prit doucement sa main dans la sienne, but une gorgée de bière et tourna la tête vers Kveria.

Celle-ci était restée silencieuse le temps que son ami aille chercher les boissons, se contentant de regarder la jeune femme en face d'elle de ses yeux perçants. Elle ne paraissait pas tellement méchante, et cherchait juste à l'observer. Lorsque le guerrier s'assit, elle tourna à nouveau son regard vers Girofle, lui souriant un peu.

Je connais Ikfes depuis que nous sommes tout petit. Et j'ai décidé de le suivre parce qu'il quittait le village. Il fallait bien quelqu'un pour veiller sur lui.

Ikfes leva les yeux au ciel mais en souriant.

Tu ne voulais surtout pas te retrouver toute seule et mes parents t'ont probablement demandé de veiller sur moi.